Rétrospective 2014 : Irak, l’année terrible
L’année 2014 fut une année noire pour l’Irak, peut-être la plus sombre depuis une décennie. La montée en puissance de Daesh, l’explosion des querelles confessionnelles, la chute du gouvernement Al-Maliki et le massacre des populations yézidies et chrétiennes entre autres ont fait du pays l’épicentre d’une crise militaire et humanitaire majeure. L’intervention de la coalition occidentale menée par les Etats-Unis ou encore la résistance remarquable des Kurdes d’Irak contre Daesh ont enrayé l’expansion du mouvement mais n’ont pas réussi à l’éradiquer, ni à l’affaiblir de manière significative : la grande ville de Mossoul, et une partie des riches provinces de Kirkouk et de Salah ad-Din tombèrent en juin 2014. Si en fin d’année la progression de Daesh fut moins rapide qu’à l’été, le conflit s’est répandu en Syrie voisine et menace de faire tâche d’huile sur une grande partie du Moyen-Orient.
L’Etat islamique n’est pas apparu en 2014 : l’organisation naquit en 2006 d’une collaboration entre Al Qaeda et cinq autres groupes djihadistes. C’est à la fin de 2013 que la rupture intervint entre Daesh et Al Qaeda, au moment où la politique sectaire de Nouri Al-Maliki, dirigeant chiite du gouvernement irakien de l’époque, provoqua le soulèvement de plusieurs tribus sunnites de l’ouest du pays – dans la province d’Al-Anbar en particulier. Ce soutien au sein d’une partie de la population a permis au groupe de s’étendre rapidement et même de menacer Bagdad devant la déliquescence des forces armées irakiennes. Le 29 juin 2014, Abu Bakr Al-Baghdadi proclama officiellement dans la mosquée de Mossoul, la deuxième ville du pays, la restauration du califat et son auto-proclamation en tant que calife sous le nom d’Ibrahim. La résistance à Daesh fut surtout le fait des combattants kurdes, les « peshmergas », qui firent du Kurdistan irakien – autonome de droit mais indépendant de fait – le seul réduit sûr pour les minorités chrétiennes et yézidies persécutées par Daesh. En août, après plusieurs jours de tractations et de pressions américaines, Nouri Al-Maliki, dont la politique clivante et pro-chiite a été perçue comme l’une des causes de la montée en puissance de Daesh, fut remplacé par Haidar Al-Abadi à la tête du gouvernement irakien.
Sur le terrain, la formation de la coalition occidentale et l’entrée en scène de l’Iran ont ravivé le spectre d’une intervention étrangère en Irak.
Devant le massacre des populations yézidies après la prise de la ville de Sinjar dans le Nord du pays, face au calvaire humanitaire vécu par les minorités – chrétiens d’orient, yézidis, chiites – et effrayés par la perspective de la prise d’Erbil au Kurdistan irakien, les Etats-Unis ont fédéré autour d’eux une coalition d’une quinzaine d’Etats et entamé le 8 août des frappes aériennes contre des positions de Daesh. Ils ont aussi annoncé le 7 novembre l’envoi de 1500 conseillers militaires en Irak. Si l’Iran a refusé de se joindre à la coalition, son appui logistique et opérationnel est réel dans la lutte contre le mouvement : le 21 octobre, le gouvernement iranien a annoncé que les brigades Al Qods étaient déployées sur le territoire irakien, au sud-ouest du pays, et les services de renseignement iraniens sont partie prenante dans le processus de détection et d’évaluation des cibles militaires. Début 2015, l’Irak est encore une poudrière atomisée en de multiples zones d’influence – gouvernement fédéral, tribus, Etat islamique, Kurdistan irakien, Iran à la frontière orientale… Après la victoire militaire, la résolution du conflit passera ainsi par la prise en compte de ce problème de morcellement territorial et confessionnel, qui n’a jamais été vraiment résolu par l’occupant américain depuis 2003 et qui appelle selon Michael Hayden, ancien directeur de la NSA et de la CIA, « une inévitable partition ».